La Sape, la société des ambianceurs et des personnes élégantes, s’est développée au cours des années 1970 entre les deux Congos. Séverin Mouyengo en a été le témoin avant d’en devenir l’un des plus grands protagonistes. Avec pédagogie, vitalité et humour, il retrace ce long voyage qui est demeuré longtemps presque immobile entre Pointe-Noire et Brazza.

La sapologie a ses fidèles, ses passionnés et ses spécialistes. Ce livre s’adresse aussi aux autres, à qui il promet un périple pour le moins déroutant. Il s’agit de l’autobiographie de Séverin Mouyengo, le « salopard de la sape », si l’on en croit le titre qui lui est donné un jour de mai 1974, lors d’une fête à Pointe-Noire, alors qu’il n’a pas 19 ans.

Séverin Mouyengo a d’abord été un ngaya, autrement dit un non-connaisseur, avant de mentir à sa mère pour obtenir la somme indispensable à l’achat de « vêtements griffés » dans les magasins les plus chers du centre de Brazzaville. Il a alors quatorze ans et plonge dans un univers qui l’éloigne un temps de l’école et de toute autre occupation.

Un processus de réappropriation

La sapologie de ce côté du fleuve se présente alors comme un phénomène de réappropriation des codes vestimentaires de l’ex-colonisateur, avec une prédilection, donc, pour des vêtements ou des accessoires comme la canne ou le feutre, qui pour certains ramènent à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle.

L’association des couleurs – selon la règle des 2/2 ou des 3/3 -, l’intérêt pour la mode récente, la façon de « prendre l’air » avec son « accoutrement » – de « la diatance de 16h », entendez la promenade de l’après-midi dans les artères de la capitale, aux soirées des night-clubs – font de la sape une discipline qui accorde des univers très différents les uns des autres, mais semble obsédée par le désir de paraître et le besoin d’ascension sociale.

Cette expression de l’ascendant par l’apparence se retrouve dans plusieurs anecdotes du livre, du « monsieur » donné par le proviseur du lycée alors qu’il vient demander un aménagement d’horaire, à la confusion lors de sa prise de poste dans l’administration des Eaux et Forêts où ses interlocuteurs le prennent constamment pour un chef de service.

Il fait aussi longuement état d’une amitié de son adolescence avec « une jeune femme blanche ». « Chez les peuples autochtones (pygmées), écrit-il ailleurs, le vêtement correspond à la logique de la différence et du statut, il est dénué de toute valeur imaginative. » Si l’assertion est parfaitement discutable, elle n’en trahit pas moins que l’imaginaire du sapeur est hanté par le traumatisme colonial, l’humiliation des hiérarchies raciales et par la peur du mépris.

Une contestation non-violente de l’ordre établi

L’auteur l’exprime d’ailleurs très consciemment dans les annexes, préférant s’en tenir dans son proprement dit à un vécu qui ne s’alourdit jamais du recul de l’analyse. On ne saurait contester l’élégance de ce choix à celui qui en 2004 a été reconnu « grand Sapeur », sans même être allé à Paris.

C’était six ans après que la Guerre civile ne l’a contraint à enterrer tous ses vêtements, croyait-il pour quelques jours. Quand il reviendra chez lui après un an, seules une montre et une gourmette auront survécu aux assauts de la chaleur et des pluies. Plus de deux-cents costumes – la plupart de grande griffe – et plus de trois-cents chemises auront été rendus inutilisables. Entre-temps, cinq de ses proches sont morts de malnutrition.

Il l’écrit à la toute fin du livre : « Dans la plupart des cas, les sapeurs sont des jeunes d’origine populaire et de famille modeste, aux perspectives économiques réduites, issues des sociétés traditionnelles. » Derrière cette frivolité qui excédait les gouvernements « socialistes » d’Afrique centrale, il y a une contestation de « l’ordre établi », laquelle s’accompagne d’une apologie de la « non-violence » et d’un désir de sublimer le quotidien par la beauté et par la joie.

C’est ce dont témoignent aussi les nombreuses photographies illustrant cet ouvrage au vocabulaire savoureux, et la reconnaissance internationale obtenue sur le tard, qui l’a amené à voyager de l’Afrique du Sud au Japon, pour des spots publicitaires ou des expositions. « Le dandy joue sa vie faute de pouvoir la vivre » écrivait Albert Camus. Et il ajoutait : « Quand les dandys ne se tuent pas ou ne deviennent pas fous (…), ils posent pour la postérité. »

► Séverin Mouyengo, Ma vie dans la sape, Librairie La Petite Égypte, 2021.

À écouter sur rfi.fr :

► Hommages à Papa Wemba: les sapeurs saluent leur pape une dernière fois.

► Yvan Amar, « La Danse des mots » : Les Sapeurs du français.

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