Grand reportage vous invite aujourd’hui à une déambulation, dans les rues de Brazzaville. « Les portraits du Congo : 100 ans d’histoire de mémoire photographique ». C’est le titre d’une exposition inédite à plus d’un titre puisqu’il s’agit de montrer, dans les rues de la capitale, un siècle d’histoire.Un siècle de photos collectées auprès des familles congolaises ou des étrangers de passage, par le documentariste réalisateur Hassim Tall Boukambou.
Place de la République, à la croisée des chemins conduisant vers le centre-ville, l’aéroport international ou encore le célèbre et historique quartier de Bacongo, le vernissage de l’exposition a démarré avec un retard à cause de la pluie qui est tombée sur la ville pendant une bonne partie de la matinée.
Entouré par une foule composée de journalistes, des hommes de culture et autres curieux, le producteur-documentaliste Hassim Tall Boukambou, commissaire de l’exposition, présente les photos au cœur de l’évènement. Ces photos sont le fruit de sa collecte privée lancée auprès des familles congolaises.
« Le gros lot de photos que nous avons reçu concerne les années 50, 60, 70, 80 et 90. Il y a eu un véritable engouement des Congolais et Congolaises de l’intérieur du pays et des deux grandes villes Brazzaville et Pointe-Noire. Mais aussi de la diaspora congolaise parce que nous avons reçu des photos des États-Unis, d’Europe et de la France particulièrement. On a pu collecter 1121 photos dont 750 vont servir pour l’exposition. Les Congolais vont découvrir les pages entières de leur histoire familiale qui se confond avec l’histoire du pays », raconte M. Boukambou.
Tout autour de la place de la République, plusieurs panneaux sont accrochés. Les visiteurs sont de tous âges : les passants, femmes, jeunes et vieux, élèves et étudiants. Mains croisées ou en poches, ils restent longtemps devant ces photos en couleur, en noir et blanc, en portrait et en paysage qui renseignent sur un passé récent ou lointain.
« Les Congolais sont dépositaires de trésors méconnus de manière générale, et même des enfants qui grandissent dans la maison. Là, nous avons pu mettre la lumière sur ces photos. Nous avons pu faire communiquer des générations entières entre elles. Ça permet aux jeunes générations de découvrir les pans de leur histoire familiale », se félicite l’initiateur de l’exposition.
Sur l’une des photos d’un tableau de la place de la République, les élèves de la mission catholique de Loango posent en 1905. C’est une photo chargée d’histoire. Le Site de Loango sur la côte atlantique fut entre le XVIe et le XIXe siècle un lieu de rassemblement des esclaves de la sous-région en vue de leur déportation vers les Amériques. Cette photo n’est pas l’unique prise avant la période ciblée par l’exposition qui couvre la période de 1920 à 2020. Le collectionneur Hassim Tall Boukambou a bien d’autres surprises.
« La plus vieille photo que nous avons date de 1896. C’est une photo de commerçants congolais établis à Libreville (au Gabon) qui faisaient la navette entre Pointe-Noire, Loango et Libreville. C’étaient des gens qui prenaient les bateaux », explique Hassim Tall.
Une autre photo de l’exposition qui retient l’attention est celle des travailleurs du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO). On y voit des gens amaigris, exposés au soleil, affaiblis par les durs travaux. La construction de cette ligne ferroviaire qui relie Pointe-Noire et Brazzaville a été un moment douloureux, selon Hassim Tall Boukambou.
« Il ne faut pas oublier que le CFCO a décimé beaucoup de Congolaises et de Congolais. Je dirais que le CFCO a été une véritable hécatombe pour le peuple congolais. Chaque famille congolaise a été touchée. Au-delà, les personnes de l’Oubangui-Chari ont été impactées », témoigne M. Boukambou.
Flambant neuf, le Centre culturel Zola au cœur de Brazzaville, facile d’accès, est le principal point d’exposition des photographies. La salle d’exposition est située à l’étage. Les visiteurs y accèdent par des marches. Les tableaux forment comme des lignes brisées. Ici, les photos ont deux formats : 40-60 A2 et 30-40 A3. Les plus vieilles photos sont celles d’une femme congolaise filmée en 1900 portant des scarifications, de vrais artifices de beauté de l’époque. Ils ne sont plus à la mode aujourd’hui.
Autres photos, celles du Roi Makoko, l’homme qui signa en 1880 un traité avec l’explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza ; traité qui ouvrit théoriquement les portes de la colonisation française au Congo.
On le voit assis sur un fauteuil traditionnel porté par ses sujets, certains le torse nu, avec des pagnes légèrement noués à la taille.
Au Centre culturel Zola, l’historien Stevio Ulrich Baralangui nous sert de guide.
« Il s’agit concrètement de quelques iconographies, des représentations photographiques qui retracent un peu les grandes phases de l’histoire de la République du Congo sur un siècle, voire un siècle et quelques années. Nous avons là devant nous une personne de troisième âge tenant une nasse. C’est un objet artisanal généralement utilisé au Congo, et même dans d’autres pays africains dans la pratique de la pêche », explique l’historien.
Dans l’ensemble, les photographies nous montrent comment les usages de la vie quotidienne ont évolué sous l’influence des différentes cultures congolaises. Aucun compartiment de l’histoire n’a été ignoré. Un jeune qui pratique la pêche à la ligne ; un vieillard qui tisse une nasse ; des scènes de vie courante dans le cosmopolite quartier Poto-Poto en 1943, ou encore des échanges entre le président Marien Ngouabi et les élèves de l’École militaire Général Leclerc sont autant de photos que l’historien Stevio Ulrich Baralangui nous présente avec envie.
« Vous savez l’histoire, c’est le socle de tout dans un pays. Un peuple ne vit que par sa mémoire. Donc, l’histoire c’est la science qui permet de préserver la mémoire collective », argumente l’historien Baralangui.
C’est avec force détails que l’historien Stevio Ulrich Baralangui commente la photo de l’homme politique Jean-Félix Tchicaya.
« C’est un personnage très important de l’histoire politique de notre pays. Il est député en 1946. Il crée un parti, le Parti progressiste congolais. Il siège au Palais de Bourbon à l’Assemblée nationale française. Donc, avec lui c’est l’entrée des Congolais dans la vie politique. Il fait partie des premiers leaders politiques congolais. C’est vrai qu’avant lui, il y a eu André Grenard Matsoua qui a engagé une vie associative avec une forte résonance politique. Mais, le premier acteur politique majeur de notre pays, on peut considérer que c’est Jean-Félix Tchicaya et ensuite viendra plus tard, dans la même fourchette, Jacques Opangault, Fulbert Youlou. »
Fulbert Youlou dont parle l’historien fut le tout premier maire noir de la ville de Brazzaville, avant de devenir le premier président du Congo indépendant en 1960. C’est lui qui eut l’initiative d’organiser la première exposition de mémoire photographique en 1956. Celle d’Hassim Tall Boukambou est donc la deuxième. Le manque de moyens peut expliquer ce vide, selon Jean-Omer Ntady, conseiller au patrimoine au ministère de la Culture.
« Pour monter une telle activité, vous avez besoin des moyens. Que chaque Congolais apprenne à conserver les photos de famille. Ce sont des archives de famille qui, à certaines occasions, peuvent être exhumées pour informer d’autres communautés », affirme M. Ntady.
Jean-Omer Ntady a bien des commentaires sur l’exposition.
« Il faut voir qu’il y a un brassage. On n’a pas pris que des vieilles photos. On a aussi pris les photos des jeunes enfants qui retrouvent leurs histoires », relève-t-il.
Habitant de Brazzaville, passionné de l’histoire, Christ Bouta, 29 ans, fait partie des jeunes qui ne passent pas un seul jour sans visiter l’exposition « portraits du Congo ».
« À travers cette exposition, il y a d’abord une admiration du fait que nous avons des photos dont on nous racontait une histoire. Par exemple, il y a eu tel homme qui a été au pays, mais il n’y avait pas d’images. Mais, aujourd’hui avec l’exposition, on colle l’image à l’histoire qu’on nous racontait sur tel ou tel grand personnage », raconte Christ Bouta.
Christ Bouta a été marqué par la photo du Roi Pélé qui, en 1967, avec son club Santos, a disputé des matches à l’ex-stade de la Révolution. C’était juste deux ans après son inauguration officielle par le président Alphonse Massamba-Débat.
« Ma grand-mère me racontait que le Roi Pélé est venu jouer ici. Tout temps, il tombait dans le terrain et dès qu’il y avait un coup franc, il marquait le but. Je n’avais jamais vu les images du Roi Pélé à Brazzaville. Aujourd’hui avec l’exposition du Centre culturel Zola, j’ai au moins pu découvrir que réellement le Roi Pélé était là ».
L’évolution de la construction ou de l’habitat à Brazzaville est à découvrir à travers cette exposition, commente Christ Bouta qui souhaite qu’elle revienne chaque année.
« Cette exposition nous montre un peu comment était Brazzaville dans les années 60 ou encore en 1943, et comment est Brazzaville en 2020. Du coup, il y a eu une progression de Brazzaville malgré le fait qu’il y a eu des maisons en paille. Aujourd’hui, nous avons des infrastructures en agglomération. Ça montre que nous sommes en train d’évoluer quand même en ce qui concerne l’habitat », dit-il.
De son côté, le jeune Bonchansar, amoureux de la photo, la trentaine révolue, défile sur les différents lieux de l’exposition qu’il considère comme un pont entre l’ancienne et la jeune génération.
« Je pense que cette exposition vient à point nommé pour montrer aux jeunes qui n’ont pas connu les années 60-70, comment les gens s’habillaient par exemple. Comment les gens posaient. Parce que notre style et celui des générations passées, ce n’est pas du tout la même chose. Je pense que c’est une bonne chose de nous ramener dans les années passées pour essayer de contempler ces années-là », indique Le Bonchansar.
Près du marché Total dans le deuxième arrondissement, Loïc Loupet, 19 ans, étudiant en Économie, tient un petit cybercafé. Sa famille fait partie de celles qui ont remis les photos qui alimentent l’exposition.
« En ce qui concerne les photos, nous avions fourni deux photos personnelles de notre enfance. Je devais avoir une année et quelques mois, en tout proche de deux ans. Nous avions aussi fourni une photo de l’un d’un arrière-grand-père (du côté maternel). Il fut un guerrier lors de la libération de la France, pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a combattu pour De Gaulle et pour le compte de l’Afrique. Il y a aussi une photo de mon grand-père (paternel) sur laquelle on retrouve ma mère et deux de mes frères qui étaient tout petits. Ce sont des photos que les parents ont gardées. On s’est dit que ce sont des photos mémorables et on a décidé de les honorer, puis on les a envoyées à l’exposition », commente Loïc.
Loïc a également fourni la photo de son grand-père paternel Loupet qui fut le tout premier directeur de l’École du quartier Moukondo. Il est plus qu’ému de faire découvrir les photos de ses grands-parents au grand public.
« Ça crée une certaine émotion, une certaine joie. Parce qu’on se dit, tiens ! Je n’ai pas vu le grand-père, l’arrière-grand-père, mais en faisant ça, ils seront peut-être joyeux d’où ils sont, d’être honorés. Ce sont des photos que j’ai trouvées en très bon état. Elles sont très bien conservées. En dehors du tiroir où je les ai trouvées, elles étaient conservées dans une enveloppe kaki. En très bon état ».
Dans sa famille habitant Sangolo, après la cité de l’OMS, Razia Mahoumi, une jeune mère de 28 ans, a été choisie pour trier les photos qui ont été remises à Hassim Tall Boukambou.
« J’ai décidé de participer (à l’exposition) parce qu’on dit que l’union fait la force. J’ai donné 50 photos, celles de 1960, 1970. Mes parents ont conservé les photos depuis longtemps. J’ai fait mon choix. Ma maman a un sac qui contient ces photos. En grandissant, elle nous les montrait. Alors, pourquoi pas mettre ces photos dans les archives de l’exposition ? C’est là où j’ai décidé de participer à cet évènement. J’ai également invité des amies à apporter leurs photos. À partir de moi, il y a eu comme une collection. Deux ou trois copines ont apporté des photos que nous sommes allées déposer », raconte Razia.
Razia Mahoumi qui caresse le rêve de devenir cinéaste a revu, à travers les photos, les débuts de l’aventure amoureuse de ses parents.
« J’ai vu une photo de mon père et ma mère. Ils étaient tout jeunes. La maman avait 23 ans. Aujourd’hui, elle a 60 ans. Il y a une photo où ils dansaient dans un bar. C’était très intéressant. Puis, une autre photo encore, ils allaient travailler dans une ceinture maraîchère au quartier Mfilou. Les gens m’ont demandé si la photo a été prise au village. Je leur ai expliqué que c’était dans un quartier de Brazzaville où, à l’époque, les parents allaient travailler pour produire des légumes et beaucoup de choses. », raconte la jeune dame.
Initiateur de l’exposition Hassim Tall Boukambou à mener un travail passionnant. Il est plus qu’heureux de partager ces archives que de nombreux Congolais ignoraient.
« C’est en travaillant sur les archives (photos, vidéos) dans le cadre de mon travail que je me suis rendu compte que j’avais pu accéder à plusieurs archives au Congo, mais aussi à l’étranger. Et qu’il n’était pas aisé aux historiens, chercheurs, collégiens et aux étudiants d’accéder aux mêmes archives. J’ai été interpellé en tant que cinéaste, en tant que Congolais, en me disant que le peu que je connais doit être partagé. Et, pour que les gens puissent s’approprier ces archives, il fallait provoquer un déclic en leur disant que les archives ce n’est pas seulement ce qui appartient à des institutions. Chez vous, vous êtes tous dépositaires de la mémoire de vos familles, donc de la mémoire du pays. Je pense que nous avons été entendus et les Congolais ont répondu massivement à l’appel », se félicite M. Boukambou.
L’exposition « Portraits du Congo : 100 ans de mémoire photographique » prendra fin le 14 juin 2021. L’œuvre du Centre culturel Zola organisée en partenariat avec le ministère de la Culture et l’ambassade de France au Congo, elle s’est donné pour mission de sensibiliser les Congolais sur le patrimoine dont ils sont dépositaires.